Un cas particulier : incidence de l’enlèvement d’une requérante mineure en Irak sur l’examen de sa demande d’asile

Le Conseil est saisi d’un recours à l’encontre d’une décision d’irrecevabilité prise par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides à l’endroit d’une requérante mineure, de nationalité irakienne, mettant en exergue son occidentalisation, sa naissance en Suisse, son absence de vécu en Irak et sa scolarité en Belgique. Cependant, lors de l’audience, la mère de la requérante a informé le Conseil que l’enfant avait été enlevée par son père quelques jours auparavant, qu’il l’avait ramenée de force en Irak et qu’une plainte avait été déposée pour enlèvement international d’enfant. Le Conseil s’interroge donc sur sa compétence à pouvoir se prononcer, dans le cadre du présent recours, sur les motifs de la décision, étant donné que la jeune requérante ne se trouve plus actuellement sur le territoire belge. La partie défenderesse estime que le retour de la requérante en Irak met un terme à sa demande de protection internationale et prive de son objet le recours.

Après avoir rappelé que « pour introduire une demande de protection internationale, la personne doit se trouver « hors du pays dont elle a la nationalité » » et que tel était bien le cas pour la requérante, le Conseil n’aperçoit pas sur la base de quelle disposition légale ou réglementaire il se verrait contraint de ne pas examiner le recours introduit par la requérante en l’espèce pour le seul motif qu’elle n’est plus présente sur le territoire du Royaume et qu’elle se trouve en Irak. Ce retour de la jeune requérante en Irak ne s’étant pas fait sur une base volontaire, il ne peut être conclu que la requérante aurait renoncé – même implicitement – à sa demande.

A cet égard, le Conseil rappelle l’article 57/6/5 de la loi du 15 décembre 1980 et l’article 1er, section C, de la Convention de Genève relative au statut de réfugiés qui énonce les différentes clauses de cessation du statut et en conclut qu’il peut donc arriver qu’une personne reconnue réfugiée puisse continuer de l’être même après qu’elle soit retournée dans son pays d’origine lorsqu’il est établi que ce retour ne s’est pas fait volontairement et durablement. Le Conseil rappelle en outre que toute décision de reconnaissance de la qualité de réfugié revêt un caractère « déclaratif de droit » en ce sens que la qualité de réfugiée que cette décision reconnait à une personne est réputée appartenir à cette dernière depuis le jour de l’introduction de sa demande. Ainsi, une personne ne devient pas réfugiée par l’effet de la décision qui lui reconnait ce statut ; cette décision ne fait que confirmer et lui reconnaître une qualité qui préexistait en réalité depuis l’introduction de sa demande.

Le Conseil considère ensuite ne pas pouvoir se rallier aux arguments de la partie défenderesse. Il estime, dans les circonstances particulières de la cause et au regard des informations déposées par les parties, que le contraste entre, d’une part, la liberté et les droits dont la jeune requérante bénéficie en Belgique depuis qu’elle y vit et qu’elle a désormais intégrés comme faisant partie de son identité et, d’autre part, la vie qui sera la sienne en cas de retour en Irak où, du fait de sa condition de jeune fille mineure ignorant tout des normes, valeurs et comportements prévalant dans son pays d’origine, elle risque d’être confrontée à diverses formes de violences et de discriminations, implique que la crainte de la requérante peut être analysée comme une crainte d’être persécutée du fait de son appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 48/3, §4, alinéa 1er, d) de la loi du 15 décembre 1980. La qualité de réfugiée est accordée à la requérante. (CCE, 18 décembre 2024, n° 318 812).

19/02/2025